Évasion de René TOUSSARD de la Feldgendarmerie de Lannion, le 25 juin 1944
Le 24 juin 1944 René TOUSSARD alias TOUTOU qui est au maquis de Pommerit-Jaudy vient faire des provisions à Lannion pour ses camarades clandestins.
Avant d'être dans la clandestinité il habitait au bas de l'escalier de Brélévenez, chez son grand-père cour Desfages.
Ses approvisionnements terminés, il profite de son passage à Lannion pour passer la nuit à son domicile.
Au cours celle-ci alors qu'il dort, une lampe de poche est braquée sur ses yeux le réveillant brutalement, ce sont les feldgendarmes qui viennent l'arrêter.
Il est envoyé à la kommandantur de Lannion, puis mis en cellule près de l'actuel collège Charles LE GOFFIC, et soumis à la torture, recroquevillé, un bâton passé entre les bras et les jambes il est frappé violemment avec un nerf de bœuf.
Au cours de la journée du 25 juin 1944, ses bourreaux le détachent un moment afin qu'il puisse s'alimenter, se retrouvant seul dans sa cellule, il va à la fenêtre qui est obturée par un seul barreau métallique. Il saisit de ses mains le barreau et s'aperçoit que celui-ci a été descellé, sans doute par le précédent occupant des lieux.
Il dégage le barreau de son logement, puis sans perdre de temps à manger son sandwich, se faufile avec difficultés compte tenu de ses blessures, par la fenêtre et traverse un terrain attenant à la prison, il se retourne et aperçoit une pancarte sur laquelle est écrit en allemand, " Atchung minen ", il n'a pas besoin de traducteur pour comprendre qu'il vient de traverser un terrain miné.
Il réussit à aller se mettre à l'abri chez des gens qu'il connaît, les CHARREAU, puis guidé par Charles OFFRET et Charles LOSSER qui le conduisent chez les LE MAUX habitant Pen-Ar-Biez en Lannion, enfin il ira rejoindre par la suite son maquis de Coat-Névénez en Pommerit-Jaudy.
Attestation faite à René TOUSSARD par Madame CHARREAU
ATTESTATION
Je soussigné, Madame veuve Paul CHARREAU, née LE NAOURES, demeurant 23, rue des Chapeliers à Lannion (Côtes-du-Nord ).
Certifie sur l'honneur ce qui suit :
Le dimanche 25 juin 1944, je me trouvais, en compagnie de mon mari, dans le jardin de notre propriété de Crech-Uguen à Lannion, vers 15 heures environ, se présenta à nous un jeune homme que nous connaissions bien : René TOUSSARD, à l'époque domicilié chez son grand-père Cour Desfages à Lannion.
Il était dans un état pitoyable, il nous fit comprendre qu'il venait de s'évader quelques instants plus tôt d'une cellule de la kommandantur, où il avait subit des heures de tortures, son visage était énorme, de la nuque au bas des reins son dos n'était qu'une plaie sanglante à laquelle adhéraient ses vêtements. Mon mari et moi lui donnâmes aussitôt les premiers soins, du linge de corps et des vêtements de rechange, il ne put absorber la nourriture que nous lui proposions, l'intérieur de sa bouche n'était qu'une plaie et l'enflure des maxillaires, du cou, de la tête l'empêchaient d'ouvrir la bouche.
Nous installâmes ensuite Monsieur TOUSSARD, dans une petite île située au milieu de l'étang formé par la retenue d'eau de l'usine, pour le cas ou les allemands arriveraient (notre propriété ne se trouvait guère à plus de 1500 mètres de la kommandantur) puis nous préparâmes son évacuation vers la campagne.
Mon mari alla quérir en ville deux personnes qu'il savait dévouées à la résistance, Messieurs Charles OFFRET, décédé depuis, et Monsieur Charles LOSSER, actuellement garde champêtre à Trégastel (22). Ces deux personnes prirent René TOUSSARD en charge, dans la soirée et l'emmenèrent à travers champs vers une ferme de Brélévenez ou résidaient des amis sûrs et dévoués à la résistance : Maria LE MAUX institutrice publique et son frère Philippe LE MAUX (ancien député de la circonscription). La famille LE MAUX prodigua des soins à René TOUSSARD pendant trois jours, ensuite il fut évacué et soigné de ferme en ferme, en partie rétabli il participa à la libération de Lannion.
Il n'est pas exclu que les allemands aient appris quelque chose par la suite, car le 20 juillet 1944, ils détruisaient par l'explosifs notre maison rue des Chapeliers et notre famille n'échappa que de justesse à leurs représailles.
Fait à Lannion le 20 juillet 1978
Attestation faite à René TOUSSARD par Mademoiselle Maria LE MAUX
Callac le 20 juillet 1970
ATTESTATION
Je soussigné Mademoiselle Maria LE MAUX, institutrice honoraire résidant à la maison de retraite de Callac (Côtes-du-Nord), certifie sur l'honneur les faits suivants :
Le 25 juin 1944, dans la soirée, me trouvant à la ferme familiale de Brélévenez, avec mon frère Philippe et les autres membres de ma famille, nous avons accueilli, Monsieur René TOUSSARD de Lannion, agent de liaison de la résistance qui venait de s'évader de la kommandantur de Lannion. René TOUSSARD nous était amené par deux amis sûrs de la résistance Messieurs Charles OFFRET et Charles LOSSER, tous deux de Lannion également. Il avait passé quelques heures dans la propriété CHARREAU où il avait reçu les premiers soins.
Martyrisé pendant des heures par les tortionnaires aux ordres du lieutenant BLOOMANN, le maquisard était dans un état lamentable, sa tête était énorme et tuméfiée, l'intérieur de la bouche n'était qu'une plaie, ainsi que le dos de la nuque au bas des reins.
Nous l'avons soigné, réconforté avec nos modestes moyens pendant trois jours, le 28 juin dans la soirée d'autres résistants sont venus le prendre en charge et l'ont conduit (nous l'avons appris plus tard) à la ferme Feutren en Rospez.
Fait à Callac le 20 juillet 1978
Attestation faite à René TOUSSARD par Jean GUILLOU
ATTESTATION
Je soussigné Jean GUILLOU, demeurant 33, rue Château-Landon à Paris 10ème, ancien adjudant infirmier du maquis de Coat-Névénez en Pommerit-Jaudy (Côtes-du-Nord ), titulaire de la Croix de Guerre au titre de la Résistance, de la carte de Combattant Volontaire de la Résistance, de la Croix de Combattant Volontaire de la guerre 39/45.
Certifie sur l'honneur.
A la fin du mois de juin 1944, exerçant au maquis la fonction de chef du service infirmerie, j'ai examiné quelques jours après qu'il se fut évadé des cellules de la feldgendarmerie de Lannion (évasion du 25 juin) Monsieur René TOUSSARD, l'un de nos camarades arrêté au cours d'une mission, son dos n'était qu'une plaie de la nuque au bas des reins. Il était méconnaissable, sa tête était énorme. Il était totalement sourd, nous ne pouvions le faire hospitaliser, il fut placé chez des fermiers et put ainsi atteindre la libération début août. Il fut examiné par le Docteur GERARD (décédé).
Fait à Paris le 28 mai 1980
Emile MENGUY de Trébeurden
à
Monsieur Le Commandant des FFI
PC de Lannion (1)
Le 10 juin 1944, à 9 heures du matin, je suis arrêté par la Feldgendarmerie de Lannion, à Penvern en Trébeurden accusé de détournements envers l'Organisation TODT (2) et incarcéré en cellule à la prison de Lannion.
A 2 heures de l'après midi j'entre en contact avec Marcel BOUFFANT (3) (le plus jeune des deux frères) de Ploumilliau enfermé dans la cellule n°2 mitoyenne à la mienne. Il m'apprend l'horreur de la torture infligée aux prisonniers. Il avait été lui-même trois fois roué de coups de matraque et la dernière fois avait eu le crâne fendu par l'adjudant de gendarmerie BLOOMANN. Le docteur allemand appelé, lui a rasé les cheveux, et posé 8 agrafes. D'autre part, son corps depuis les cuisses jusqu'à la nuque n'était que plaies et contusions. Il m'apprend également que son frère Roger (4) et un nommé Yves PERSON (5) de Tonquédec ont subi les mêmes traitements odieux.
A ce moment un boche qui passe dans le couloir met fin à notre conversation.
A 11 heures du soir, j'entends des gémissements et des coups sourds de nerfs de bœuf qui s'abattent avec acharnement.
Quelques instants plus tard un homme est jeté sur la planche à mes côtés. Le boche me dit : "Si vous parler avec terroriste vous la même chose" en me montrant la matraque qu 'il avait dans la main.
La porte se referme lourdement et les boches s'éloignent en ricanant. Il fait noir, je m'approche du camarade et à voix basse nous lions connaissance. Il me donne son nom Eugène OLLIVIER (6) de Tonquédec. Il est sur le ventre, les mains liées derrière le dos.
Au matin, le 11, je lui signale la présence de Marcel BOUFFANT. Eugène OLLIVIER prend contact avec lui en breton. A 14 heures, Eugène OLLIVIER repasse à la torture une seconde fois.
Le 13 juin a lieu une confrontation des quatre camarades, Yves PERSON, les deux frères BOUFFANT et Eugène OLLIVIER. Le Lieutenant BLOOMANN veut à tout prix obtenir le nom de leur chef de groupe, mais les boches sont roulés. Tous d'accord, ils s'accusent de faire partie d'une bande à quatre, d'avoir exécuté un déraillement à Pont-Couton et divers autres sabotages (témoignages de Eugène OLLIVIER dans la cellule). A la fin de l'interrogatoire un boche fou de rage les injurie grossièrement, leur donnant les noms de bandits, voyous, et leur annonce avec férocité leur mort prochaine.
Dans la nuit du 13 juin, Eugène OLLIVIER et moi, décidons de nous évader sans avoir encore établi de plans précis.
Au matin, j'examine les barreaux de la fenêtre, je casse un verre à moutarde et racle le ciment. La tâche sera rude, car nous sommes en équilibre instable sur une planchette, et d'autre part il ne faut pas faire le moindre bruit douteux, capable d'éveiller l'attention des boches.
Quand je suis fatigué, Eugène OLLIVIER me relève, je lui enlève ses menottes à chaque fois à l'aide de la boucle de mon blouson.
Le 14 dans l'après-midi Marcel BOUFFANT quitte la cellule n°3 remplacé par Yves PERSON (c'est Marcel BOUFFANT qui nous l'apprend le lendemain). Nous cherchons à nous faire entendre du nouvel arrivant. Impossible : trop frappé par les ignobles brutes de la Feldgendarmerie, il râle sur le plancher, frappant le sol des pieds et des mains. A 20 heures Eugène OLLIVIER a la même impression que moi, Yves PERSON est traîné, porté dans le bureau du Lieutenant BLOOMANN face à notre cellule. Bouleversés nous essayons de voir par le trou de la serrure. Nous apercevons des ombres qui se meuvent rageusement dans le bureau.
Le Lieutenant BLOOMANN assassin auquel la Gestapo n'a rien à envier, oublieux des principes les plus élémentaires d'humanité veut profiter de l'agonie du malheureux pour lui arracher des bribes de déclaration. Mais il est certainement trop tard, on le rejette à nouveau dans sa cellule. Nous n'avons pas pu dormir cette nuit là car jusqu'à 5 heures du matin Yves PERSON râlait et paraissait se tordre sur les planches.
Nous, obsédés par notre idée d'évasion, nous nous relayons à la fenêtre.
Après cinq heures (approximativement, d'après le jour) nous n'entendîmes plus un bruit dans la cellule d'à côté, un funeste pressentiment nous traversa. Nous collâmes notre oreille au mur ; vers 7 heures les allemands entrent dans la cellule d'Yves PERSON, essaient de le réveiller et j'entends très distinctement, autant que mes connaissances en allemand me le permettent, ces paroles "l'homme est mort". Eugène OLLIVIER et moi l'avions hélas pensé. Yves PERSON avait certainement fini de souffrir. Marcel BOUFFANT reprit place dans la cellule l'après-midi.
Le vendredi 16 juin 1944 Eugène OLLIVIER et Marcel BOUFFANT sont emmenés, et j'apprends par une femme de ménage nommée Jeannette qu'ils seront fusillés avec d'autres patriotes (7) au champ d'aviation de Servel, qui je l'ai su depuis a servi de dernière demeure à bien des malheureux bretons. Sinistre image du déclin allemand.
Le cœur serré je pense que notre patient labeur n'aura pas profité au pauvre Eugène OLLIVIER.
Je reste seul et continue le travail entrepris avec mon collègue.
A 17 heures, le barreau est descellé. Je le cale avec des brindilles et je maquille les traces de mon travail à l'aide de menues poussières. Découragé et pensant que ma condamnation ne serait pas grave, je ne juge pas utile de m'exposer au danger des mines qui entourent la prison. Un autre, peut-être profitera de la fragile barrière que constitue ce barreau.
Je ne pensais pas si bien faire.
En arrivant à Lannion le 18 août 1944 j'apprenais que 6 jours après mon départ pour la prison de Saint-Brieuc, le nommé René TOUSSARD habitant Cour des Fages à Lannion et faisant partie de la Résistance s'échappait par la fenêtre du cachot, Eugène OLLIVIER et moi n'avions pas travaillé en vain.
René TOUSSARD m'a d'ailleurs remercié devant le Commandant des FFI de Lannion de lui avoir sauvé la vie.
J'ai été jugé à Saint-Brieuc et condamné à faire 18 mois de prison en Allemagne. Dès cet instant j'ai juré de venger Eugène OLLIVIER et ses collègues et de faire l'impossible pour m'évader.
A la prison de Saint-Brieuc, je fais connaissance du Lieutenant Commandant les corps francs de Saint-Brieuc, Pierre KERAUTRET (cela je ne l'apprends que plus tard). Il me conseille de faire les corvées et les "tinettes" de la prison, poste qui me permet d'accomplir la liaison entre détenus d'une même affaire et de passer les journaux à mes camarades. Le 10 juillet à 5 heures du matin a lieu l'appel de 17 camarades dont Monsieur Le Commandant METAIRIE et son fils, l'abbé FLEURY et deux autres camarades de Dinard dont les fiancées Lili et Yvonne, étaient également incarcérées. Ils ont d'ailleurs toujours pu correspondre au nez et à la barbe des boches.
L'abbé FLEURY a subi un véritable martyre avant d'être fusillé, chose dont j'eus la certitude en descendant le matin faire la corvée. J'aperçus en effet la soutane et le chapelet de l'abbé ainsi que les paquets de vêtements des 17 patriotes. Rapidement je remontais faire part de ma découverte au Lieutenant KERAUTRET car il était suspecté de faire partie de l'affaire du Commandant METAIRIE.
Le 17 juillet départ pour Rennes dans un autocar, escortés de Waffen SS goguenards, armés jusqu'aux dents. Nous sommes 18, menottes aux mains dont deux femmes de Callac (8). L'une d'entre elles est enceinte de 3 mois, elle est incarcérée à la prison de Rennes, comme otage, son mari étant en fuite.
Une partie de notre convoi est déposé au Camp Marguerite et l'autre à la Prison Départementale de Rennes.
Le Mardi 1er août 1944, les Américains attaquent Rennes avec des chars, les obus pleuvent autour de la prison. Entre 17 et 18 heures l'un d'entre eux explose à l'entrée. Aussitôt un vent de folie semble avoir soufflé sur l'établissement, les détenus animés par l'espoir d'une libération immédiate enfoncent les portes des cellules avec un ensemble parfait, moi-même j'enfonce la porte de la cellule 75. Nous nous engageons sur les passerelles, mais les boches ne sont pas encore partis, les mitraillettes aboient ça et là dans la prison. Nous nous replions vers nos tanières.
L'ordre est alors donné de se mettre au garde à vous au fond des cellules.
A minuit a lieu le départ du 1er convoi auquel se joignent des prisonniers du camp Marguerite et 80 femmes.
Nous sommes pressés dans des wagons à bestiaux et enfermés jusqu'à Redon.
A la corvée d'eau j'aperçois des camarades de Lannion : LE GAC, Albert LE TIEC (9), Jean LE GRAND (10), Yves TANNO (11) et PERN qui étaient dans le même wagon. Robert RAVILLY (12) et moi nous étions dans un autre wagon.
En arrivant à Nantes, un camarade du convoi s'évade ce qui nous vaut d'être enfermés en plein soleil, à la gare de triage. Nous étions 27 dans le wagon, avec pour tout vêtement nos caleçons. Pas une seule ouverture, tout était condamné. Nous étouffions littéralement.
Il y avait parmi nous le Capitaine FORGET huissier à Quimper âgé d'environ 60 ans, il avait sa femme et sa fille dans le convoi et reprenait pour la seconde fois la route pour l'Allemagne, prisonnier en 1940, libéré et repris ensuite avec sa famille ; comme coupable d'agissements patriotiques.
A 17 heures, l'interprète allemand qui avait travaillé comme peintre à Paris durant la période d'entre-deux-guerres, monte dans le wagon et nous annonce textuellement : " Je demande cinq courageux pour foutre sur la gueule du 1er qui tente de s'évader ". Personne ne répond, et pour cause. L'interprète fouaillé par cette haine sourde, cette solidarité qui le brave désigne alors cinq de mes camarades d'office. A la première évasion ils seront fusillés.
Une partie de notre convoi transportait des chars et du matériel de guerre et nous écoutions avec angoisse le vrombissement des appareils alliés qui croisaient sans cesse au dessus de nous. Nous stationnâmes environ 1/4 d'heure en gare principale de Nantes. Vers 21 heures un employé, passe le long des wagons et nous intime sans s'arrêter l'ordre de rester allongés toute la nuit.
Nous comprimes sans plus d'explications que la Résistance s'occupait certainement de nous. Effectivement vers 2 heures du matin l'attaque se déclenchait, une grêle de balles s'abattait sur les wagons. Cinq soudards en armes nous gardaient. Les mitrailleuses lourdes des chars crachaient le feu.
Malheureusement tout bruit s'éteignit et le convoi repartit, atteignant Segré le matin, puis le Lion d'Angers où 78 wagons étaient groupés, prisonniers américains, prisonniers noirs, les détenus du camp Marguerite et de la prison Jacques Cartier de Rennes.
Au Lion d'Angers, nous trouvant en couple avec le convoi américain, je réussis à échanger quelques mots avec l'un des prisonniers. Il réclamait de l'eau pour lui et ses camarades, mais les boches avec leur " générosité " coutumière refusaient. Et cela par un soleil de plomb, avec pour toute couverture sur les wagons un rectangle de 20 cm sur 50 cm. La Croix-Rouge Française nous ravitaillait, mais nos alliés américains étaient dépourvus de tout.
Le 4 août 1944 à Angers nous étions en couple avec le convoi de munitions, à Saumur le lendemain avec le convoi d'essence.
Le 6 août 1944 nous arrivons à la gare de Langeais. 8 chasseurs américains se dessinent dans le ciel et se disposaient au dessus de nous en ligne de file. Le chef de groupe pique et mitraille la tête du convoi. Nos gardiens allemands affolés s'enfuient et se cachent s'éloignant du train. L'occasion est belle. Il faut profiter de cette confusion subite, nous sautons des wagons en pleine mitraillade.
Les femmes restées sur le quai agitent des mouchoirs, des robes. Les américains voient à présent cette masse humaine déferler des wagons. Ils cessent le tir, ils s'éloignent. Les boches reprennent alors courage et ouvrent sur nous, de sang froid un violent feu de mousqueterie afin d'arrêter les fuyards. Un notaire (13) alors qu'il se rendait les mains en l'air est abattu froidement par un gardien.
Laissé sans soins il meurt épuisé à bout de sang.
Dans cet affolement, 60 détenus environ se sont évadés, certains ont traversé La Loire, d'autres ont pris la campagne.
C'est alors le défilé des blessés, dans mon wagon un professeur de Vitré, Chef de la Résistance s'est évadé. Nous en sommes heureux, dans le wagon à côté, 14 évadés, mon camarade Robert RAVILLY qui était en caleçon et pieds nus est ramené, son évasion n'a pu réussir car il a marché sur un morceau de verre lui causant une plaie sous l'orteil. Quant à moi je suis tombé au milieu de 6 boches et j'ai dû me plaquer au sol, ou mon compte était bon.
A 21 heures, les boches nous font mettre en colonne par trois et tout le convoi traverse la ville de Langeais, où nous fûmes enfermés dans des baraquements TODT. Nous étions environ 400 dans la même baraque. J'ai dormi cette nuit-là au côté du Capitaine FORGET de Quimper.
Le lendemain matin je retrouve dans la baraque le Lieutenant des corps francs de Saint-Brieuc Pierre KERAUTRET. Nous décidons alors qu'il fallait coûte que coûte s'évader avant d'arriver à Tours. J'avais déjà un plan, car avec un fétu de paille introduit dans un joint du parquet, j'avais remarqué qu'il y avait un vide d'environ 40 cm entre le plancher et le sol. Nous devions nous mettre au travail le soir-même. Un jeu d'enfant que de soulever 5 lames de parquet et de se faufiler dessous.
A quatorze heures l'adjudant allemand du convoi demande des volontaires pour aller reconnaître les morts de la veille au poste de secours de Langeais, car nous n'avions aucun papier sur nous.
Pierre KERAUTRET se présente ainsi que cinq camarades. Peu de temps après, nouvelle alerte vers 14 heures 30. Les chasseurs américains piquent au-dessus de la baraque se dirigeant sur la gare qui était au-dessus à 600 mètres environ.
Durant cette alerte, j'apprends que le Lieutenant des Corps Francs de Saint-Brieuc s'était évadé du poste de secours avec un industriel des environs de Dinan qui venait de faire 15 mois de cellule à Jacques Cartier pour avoir caché 4 parachutistes américains.
Vers 15 heures j'ai la joie de rencontrer Marcel AUBERTIN qui était mon coiffeur à Primel-Trégastel (Finistère). Je lui parle de mon intention de m'évader. Le soir même il me présente son meilleur collègue, décidé lui aussi à s'évader par tous les moyens. Il s'agit de Georges LAURENT qui a fait sauter les pétroles Jupiter à Brest.
Je lui ai fait part de mon plan, il est entièrement d'accord. Marcel AUBERTIN le coiffeur de Primel-Trégastel tient à me raconter son histoire au cas ou notre évasion réussirait et afin que trois de ses collègues qu il croit fusillés soient vengés.
Voici son récit : " J'ai été arrêté à Primel-Trégastel avec mes camarades Robert VAN HOEVEL, Jean VOYEN, Léon GUILLOUX (14) (sanitaire), nos bourreaux étaient hélas deux traîtres. Il s'agit d'André GEFFROY de Locquirec (Finistère) Breiz atao notoire membre de la Gestapo, et de Hervé BOTROS de Lanmeur (Finistère), c'est eux-mêmes qui nous ont matraqués et dénoncés. Chose unique André GEFFROY durant une de ces séances portait le costume de la Gestapo. Il est d'après moi responsable de l'arrestation du patron de l'auberge du Cheval Blanc à Perros--Guirec, et de toute sa famille. Durant un interrogatoire il me dît : " j'espère pouvoir bientôt mettre la main sur René GUILLOU, Pierre TREGUIER et Emile MAINGUY tous trois coupables à la TODT à Primel-Trégastel ainsi que sur le groupe de Penvern à L'île Grande ".
Hervé BOTROS étant venu à l'île Grande en camionnette le jour où le groupe devait former le maquis, accompagné de Pierre TREGUIER qui croyait fermement avoir affaire à un homme sûr de la Résistance. Ce qui entre parenthèse prouve le degré d'hypocrisie de ce Hervé BOTROS et le danger constitué par un pareil individu.
Si André GEFFROY n'agissait pas en ce moment ce n'est d'ailleurs nullement par effet de bonté, mais simplement par mesure de prudence, étant connu dans la région de Lannion.
A 20 heures nous passons sous le plancher, Georges LAURENT et moi, d'autres suivent. Nous sommes bientôt une quinzaine sous le plancher.
Un de mes camarades referme en ajustant les lames du parquet, ajoute deux paillasses par- dessus.
Le départ de nos camarades approche. Robert RAVILLY me prie de ne pas oublier d'aller prévenir sa mère. La blessure au pied l'empêchant de nous suivre il me promet de faire l'impossible pour s'évader en cours de route.
L'abbé BARRE fait un sermon pour relever le moral de tous et fait une prière pour les morts de la veille.
Puis a lieu le départ colonne par trois, c'est le cœur serré, le souffle coupé, oublieux notre sort encore précaire que nous les entendons s'éloigner.
A 22 heures tout est calme, le jour baisse rapidement, les lourds pas de la soldatesque boche retentissent sur nos têtes, c'est l'inspecteur de la baraque. Tout est remué, la paillasse au-dessus de nos têtes se soulève et retombe.
Georges LAURENT me touche au coude, j'ai compris nous l'avons échappé belle. Tout redevient calme, d'un calme angoissant. Le cœur saute plus allégrement. La sentinelle marche dans la cour. Nous soulevons le plancher et la paillasse, nous nous déchaussons, traversons la baraque, sautons par la fenêtre, montons rapidement un coteau de vigne. Quelle allégresse de se sentir hors de l'emprise : La liberté n'est pas un vain mot.
Le lendemain 8 août à l'aube nous nous trouvons à Pont-Boutard commune de Saint-Michel (Indre-et-Loire) nous rencontrons un employé du service vicinal. Il est au courant de l'affaire de Langeais, il a vite deviné qui nous sommes et nous met à l'aise " Rendez-vous chez Monsieur RANCIER, meunier de Pont-Boutard, vous aurez un gîte et le couvert ". Mais le rôle du brave Monsieur RANCIER ne se borne pas là, le lendemain un gars du maquis un nommé MARTIEL nous prend en charge et nous remet au Capitaine Commandant le maquis de Continvoir (Indre et Loire). Là nous retrouvons les camarades du train et nous sommes envoyés à Messieurs les Docteurs LE DUC de Morlaix et LUCAS de Brest évadés du convoi. Ils avaient une carte, nous tracent notre route. Nous devons prendre la Direction de Bauger (Maine et Loir).
A 2 km de là, nous retrouvons le Lieutenant Pierre KERAUTRET. Nous lui demandons conseil, il faut traverser la ligne, le front se trouvant à Saumur, Vemante, Baugé.
D'une seule étape de 40 Km nous faisons à travers les forêts un bond de Renoil à Baugé, les Américains défilaient à travers la ville, nous étions sauvés.
Le Lieutenant Pierre KERAUTRET s'étant fait connaître à l'Adjudant RAFFI Commandant le Groupe FFI de Baugé nous sommes rentrés en voiture à Rennes et Guingamp où je me déparais de mon camarade Georges LAURENT habitant Brest, pour rentrer à Lannion.
Fait à Trébeurden
Emile MAINGUY
Les responsables de ces crimes
Ils se nomment : Paul BLOOMANN Oberlieutenant et Georges KELZ "SPEISS" Hauptfeldwebel.
Auraient aussi participé aux séances de tortures : Kurt KAUFMANN - MENGE Untereffizer et Rudolf GOLDHART.
A la même époque, ils martyrisèrent Yves LE TIEC (mort en déportation), Jean LEGRAND (mort en déportation), François LE GAC et Frédéric CHAPUIS (retrouvé assassiné à Vieux-Marché).
Les frères BOUFFANT Marcel et Roger de Ploumilliau (tous les deux morts en déportation) furent également martyrisés par la même équipe.
(1) Corentin ANDRE, le Capitaine MAURICE, organisa la Libération du secteur de Lannion, très estimé de tous les FFI issus pour la plupart des FTP.
(2) TODT, nom de l'ingénieur nazi concepteur des blockhaus.
(3) Marcel BOUFFANT, demeurant à Kerdu à Ploumilliau, ouvrier agricole, frère de Roger BOUFFANT. Arrêté à Kertanguy en Ploumilliau le 4 juin 1944, déporté au camp de concentration de Neuengamme près de Hambourg en Allemagne, kommando Brême Farge, matricule 39369, porté disparu.
(4) Roger BOUFFANT, demeurant à Kerdu à Ploumilliau, ouvrier agricole. Arrêté à Kertanguy en Ploumilliau le 4 juin 1944, mort en déportation en Allemagne en 1945, frère de Marcel BOUFFANT.
(5) Yves PERSON, demeurant à Kerjean en Tonquédec, ouvrier agricole. Arrêté par les Allemands alors qu'il allait prévenir un camarade dénoncé aux Allemands, emprisonné à Lannion, il y est mort martyrisé par ses bourreaux le 13 juin 1944 son corps a été retrouvé dans le camp de Servel dans une fosse commune.
(6) Eugène OLLIVIER, ouvrier agricole, célibataire, demeurant au bourg de Tonquédec. Arrêté sur dénonciation le 16 juin 1943 à Tonquédec, dirigé vers Lannion, déporté au camp de concentration de Neuengamme près de Hambourg en Allemagne, kommando Brême Farge, matricule 39522, décédé le 14 février 1945.
(7) A la date de la rédaction de ce témoignage, Emile MENGUY ne savait pas que ses deux camarades avaient été envoyés en camp de concentration dont ils ne reviendront pas.
(8) Marie FERCOQ née PERSON et sa belle-sœur de Anne Marie CAIGNARD née FERCOQ. Arrêtées sur dénonciation le 8 juillet 1944 et déportées camp le camp de concentration de Ravensbrück en Allemagne, Marie FERCOQ sera libérée et reviendra en 1945 de déportation. Anne-Marie CAIGNARD est décédée le 1er février 1945 dans ce même camp de concentration.
(9) Albert LE TIEC, demeurant rue de Kerampont à Lannion. Arrêté le 22 juin 1944 par les Allemands comme terroriste, mort en déportation.
(10) Jean LE GRAND, demeurant route de Tréguier à Lannion. Arrêté le 22 juin 1944 à Lannion par les feldgendarmes allemands.
(11) Yves LE TANNO, demeurant rue de Buzulzo à Lannion, maçon, célibataire. Arrêté le 22 juin 1944 à Lannion. Déporté au camp de concentration du Struthof pais transféré à Dachau en Allemagne, kommando Allach, de retour de déportation à la libération des camps en 1945. Décédé en 1998.
(12) Robert RAVILLY, demeurant rue de Kervenno à Lannion. Arrêté le 11 mars 1944 à Pleumeur-Bodou, détenu pendant deux mois à la maison d'arrêt de Saint-Brieuc.
(13) Jules GUEHENEUC, demeurant Port-à-la-Duc en Pléhérel, notaire à Pléhérel. Arrêté à son domicile par les Allemands le 3 avril 1944, accusé d'avoir établit de fausses cartes d'identité.
(14) Il s'agit de Léon GUILLOUX, Jean LOYEN et Albert VONHOEVEN fusillés au camp militaire de La Maltière à Saint-Jacques-de-la-Lande près de Rennes. Résistants de Primel-Trégastel en Plougasnou dans le Finistère, arrêtés à cause d'un autonomiste breton Hervé BOTROS (jugé et fusillé à Quimper après la Libération), affreusement torturés par Hervé BOTROS et la Gestapo.